Qui pour aider? Tous des «slacker»!

La lutte contre la misogynie domestique semble sans fin. Après l’égalité des traitements et des responsabilités dans les entreprises et dans les instances gouvernementales –loin d’être acquise partout– et le partage équilibré des responsabilités parentales, est mis en exergue aujourd’hui le partage des tâches ménagères. Le problème se pose d’une manière semblable dans les réunions de famille où quelques belles-sœurs bienveillantes se partagent les tâches de l’office tandis que les conjoints, pièces rapportées et valeurs-ajoutées, seraient prêts à aider, mais ne savent pas comment. Dans le meilleur des cas, ils répondent favorablement à une demande d’aide, à condition que la demande soit précise, circonscrite dans l’espace comme dans la durée. Tout flou dans la demande n’obtiendra qu’une réponse vague et inefficace, ou pas de réponse du tout. Une situation semblable se rencontre dans toutes les formes de communautés –écologique, religieuse, voisinage– lorsqu’il s’agit de mettre la main à la pâte, prendre le balaie, saisir la serpillère, mettre la table, déplacer un objet encombrant.

Cette attitude amorphe va souvent de pair avec un genre sympathique, avenant, souriant. Le conjoint, le partenaire, le cousin, le beau-frère, sont très gentils, mais ils semblent incapables de la moindre initiative pratique. Un mot à la mode, venu d’Outre-Atlantique comme souvent, désigne ce type de personnage: c’est un Slacker. La traduction littérale du mot Slacker serait ‘fainéant’. En fait, il ne s’agit pas tout-à-fait de cela. Car le fainéant est un être qui ne veut rien faire. Ses motivations le poussent à préférer la lecture du journal, le repos, le divertissement plutôt que le travail. Dans le pire des cas, il imagine que sa dignité l’empêche de s’abaisser aux vils travaux du ménage; à ses yeux, ce serait déroger que d’effectuer des tâches de servante. Mais ce n’est pas le cas du slacker.

Quelquefois –mais le contexte est très différent, là aussi, dans le cas du Slacker, il a mieux à faire.  Son objectif –ne serait-ce que méditer sur le temps qui passe, ou contempler la ruche bourdonnante qui s’agite autour de lui– lui semble plus valable, valorisé, valorisante; et ce qui vaut le coût l’emporte, surtout si ce coût est supporté par celles qui mettent la main à la pâte. N’était-ce pas la position de Marie dans l’épisode évangélique de Marthe et Marie? Devant les récriminations de Marthe qui s’occupe du ménage, «Marie a choisi la meilleure part, répond Jésus, elle ne lui sera pas enlevée».

Le cas du Slacker n’est pas exactement le même. Il n’est pas de mauvaise volonté, il est prêt à rendre service, mais il ne voit pas en quoi. Reste à savoir pourquoi?

Dans un registre assez difficile à circonscrire, je dirais que le Slacker pose un problème d’éducation et de culture, problème venu d’une époque pas si lointaine où les garçons n’interféraient pas dans la cuisine ou le ménage, domaines que se réservaient –parfois avec virulence– les femmes. Ce triste constat me fait souvenir avec nostalgie qu’au Moyen Âge la ménagère se déclinait au masculin, ‘le’ ménager, à la manière de celui qui, pour voyager loin, ‘ménage’ sa monture. Malheureusement, le masculin ainsi mis au goût du jour ne changerait pas grand’chose à la division des tâches domestiques.

Avec bienveillance, ayant écarté la fainéantise ou le calcul égoïste qui refuse tout effort, on accuse volontiers le Slacker de manquer d’imagination. Il ne ‘voit’ pas ce qu’il pourrait bien faire. Les mauvaises langues penseraient qu’il manque d’intelligence, étant incapable de faire le lien entre le désordre présent et l’ordre à venir lorsque la maison sera rangée, la table mise, les légumes épluchés.

Peut-être faut-il ajouter dans l’équation du Slacker le contre-coup négatif d’un milieu familial récent où les jeunes esprits ont vu les tâches ménagères indistinctement assumées par le père, la mère, la belle-mère, le beau-père, les femmes, les hommes, de tous les genres imaginables. Cette interpénétration des tâches a pu –ce n’est qu’une hypothèse– provoquer une sorte d’aveuglement identitaire, le Slacker ne sachant plus très bien où se situer. 

Mon œil pernicieux l’accuserait tout simplement de manquer d’attention, cette qualité spirituelle qui conjugue l’expérience des limites et l’horizon d’attente.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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